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Loic Noguès

Loic Noguès

Escale au bout du monde : Les Kerguelen (2018)

 

Loïc Noguès pyrénéen d’origine, 45 ans, est assistant ingénieur en instrumentation scientifique à l’IRAP CNRS *. Son DUT (diplôme universitaire de technologie) de mesures physiques l’a fait intégrer par un heureux hasard l’IRAP en 2005. Cela l’a amené à voyager de l’autre côté du globe, sur les Terres Australes et Antarctiques Françaises (TAAF), plus précisément sur l’archipel des îles Kerguelen.

Après une première mission de 2 mois de novembre à décembre 2013, dont deux fois 12 jours de trajet, il se prépare à retourner sur ce bout de terre isolé en 2019 pour cette fois près de 4 mois. Ce rendez-vous pris avec lui, nous pourrons alors le suivre au fil de ses publications. Cela sera plus un journal de bord au long court qu’un blog de vidéos ou d’autres médiums gourmands en bande passante, contrainte technique locale oblige. Il a pour projet, lors de sa prochaine mission, de communiquer avec les élèves verdunois.

 

Quelle est votre activité au sein de l’IRAP ?

Le laboratoire développe des instruments scientifiques, souvent intégrés à des satellites, afin d’étudier et de comprendre l’univers et son contenu.
Je suis responsable de la partie mécanique de dispositifs expérimentaux qui nous permettent de recréer les conditions proches de celles du milieu interstellaire afin d’en étudier la physico-chimie en laboratoire. Une année normale, je passe 90% de mon temps à concevoir ces expériences (à l’aide de logiciels de CAO 3D), puis à les monter ou les optimiser. Je consacre les 10% restants au suivi à distance du radar de Kerguelen dont je suis responsable technique.  Celui-ci fait partie du consortium scientifique international SuperDARN constitué d’un réseau de 35 radars cohérents Haute Fréquence. Il s’agit d’un outil incontournable de la météorologie de l’espace qui fournit des observations continues de la convection du plasma ionosphérique (environ 90 km d’altitude), principalement dans les régions aurorales. Les phénomènes les plus connus sont les aurores polaires mais le vent solaire peut aussi avoir des effets dévastateurs, par exemple sur les satellites (panneaux solaires détruits) ou sur certaines installations sur terre (transformateurs électriques brûlés).

Quand je rencontre des jeunes collégiens, j’aime bien les « rassurer » en leur disant que malgré mon simple bac+2, et bien que je sois entouré de scientifiques à bac +8, j’ai de fortes responsabilités techniques sur des instruments parfois quasiment uniques au monde.

Comment se passe le voyage vers les Kerguelen ?

Je n’ai pas le pied marin et j’ai été malade dès le départ de l’Ile de la Réunion. Heureusement, j’ai pu supporter les patchs anti mal de mer proposés par les médecins du Marion Dufresne* et j’ai même pu apprécier les effets d’une tempête que le navire n’a pu éviter dans les eaux froides entre les Îles Crozet et Kerguelen.

Le voyage aller de 12 jours m’a paru extrêmement long et était déjà une préparation à l’isolation à venir même si paradoxalement nous étions 80 scientifiques au départ. C’est l’occasion de connaître les personnes avec qui nous allons passer les semaines suivantes.

Le voyage retour propose une escale à Saint-Paul et Amsterdam, au climat bien plus doux et accueillant mais il m’a semblé interminable et monotone, rythmé uniquement par les horaires des repas.

Malgré tout, les débuts de soirées au calme à la passerelle sont des souvenirs inoubliables et j’ai réellement hâte de retrouver cette atmosphère. Plus que la vie à Kerguelen, pourtant plus exaltante, c’est peut-être cette ambiance que je veux revivre en premier.

A destination, quel est votre sentiment ?

Une fois déposé par l’hélicoptère, j’ai le souvenir de m’être dit : enfin à terre ! Puis rapidement, je me suis fait à la vie de la base et je me suis intégré à sa communauté. En même temps, je me suis imprégné de son environnement. J’ai été immédiatement touché par l’âpreté des éléments même si c’était l’été austral. Je ne me suis jamais senti en détresse mais j’ai de nombreuses fois pensé aux marins des siècles passés venus sur ces terres nues sans nos moyens modernes.

En quoi consiste votre activité sur place ?

Le radar installé en 1999 fonctionne 24 heures sur 24 et est composé de 20 antennes de 15m de haut et de long pour 12m d’envergure. Il est soumis à toutes les intempéries et il souffre énormément. Il faut donc aller sur place  régulièrement pour le remettre en état.

Il s’agit principalement de réviser et réparer ou remplacer les parties mécaniques des antennes, les brins rayonnants, les haubans, les connexions et les câbles électriques. Puis de remettre en état les instruments électroniques et informatiques. Les conditions météo sont extrêmement contraignantes et en 2013 nous n’avons pu faire une révision complète que d’une seule antenne ! Lors de la mission 2019-2020, nous aurons à revoir les 20…

Il n’y a pas de weekend ou de jours fériés et les jours sont comptés pour mener à bien notre mission. En fonction de nos avancées, de la météo et des disponibilités des uns et des autres, il nous est toutefois possible de profiter de moments de détente pour de courtes randonnées, toujours au minimum en binôme et avec la radio. Il nous a aussi été possible de prendre part au ravitaillement, à la dépose ou la récupération de collègues scientifiques dispersés sur les îles de la Baie du Morbihan, grâce au chaland L’Aventure II. Je ne me suis pas ennuyé une minute à Kerguelen.

Comment décririez-vous les Kerguelen ?

Le vent est omniprésent et il n’y a rien pour l’arrêter : peu de relief autour de Port aux Français et pas d’arbres, ce qui est assez troublant. Un jour, j’ai eu la surprise d’entendre le bruit de mes pas sur le gravier : c’était un des rares moments sans vent. Je n’ai pas trouvé la pluie trop présente ou dérangeante d’autant que nous avions assez de tâches diversifiées pour travailler à l’abri quand c’était nécessaire, sans perdre de temps. Il est quand même amusant d’avoir un aperçu des quatre saisons en deux heures.

De nombreuses fois, j’ai levé les yeux alors que j’étais aux pieds des antennes et je ne pouvais pas m’empêcher de trouver le paysage environnant plutôt moche, avec l’impression d’être sur la Lune, ou plutôt sur Mars. Mais je me demandais par quelle chance j’étais à cet endroit et je n’aurais échangé ma place pour rien au monde. D’autant que la faune présente sur la base m’a tout le temps intrigué et qu’il suffit de marcher 5 minutes pour se retrouver dans de très beaux espaces.

Sur la base ou sur les plages, les bébés éléphants de mer sont calmes et touchants, les adultes gros et repoussants, les otaries plutôt inquiètes et inquiétantes, les manchots royaux magnifiques et les papous amusants, les skuas malins et intrigants, les pétrels froids et distants. Lorsque j’ai entendu les manchots pour la première fois, j’ai été surpris de les avoir réellement à côté de moi et pas sur un écran.
J’ai trouvé l’intérieur des terres beaucoup moins vivant, assez minéral, aux couleurs plutôt ternes. Mais j’ai vu des ciels avec des nuances de nuages dans leurs formes et leurs couleurs que je n’avais jamais vues concentrées dans si peu d’espace.

La vie sur la base m’a semblé plutôt confortable et je n’ai jamais manqué de rien ou presque. Il y a l’hôpital, la bibliothèque, le cinéma, … Certains scientifiques qui passent des semaines en cabanes isolées vivent dans des conditions bien plus difficiles.
Nous ne sommes pas complètement coupés du monde. Il n’y a pas Internet mais  les communications avec la métropole se font de temps en temps par téléphone, très régulièrement par courrier électronique avec de petites pièces jointes. De cette manière j’ai pu donner de mes nouvelles et partager avec mes proches presque en temps réel les moments les plus marquants de mes journées. J’ai pu aussi voir grandir mon petit Titouan né quelques jours avant mon départ.

J’ai créé des liens extrêmement forts très rapidement avec des personnes que j’ai rencontrées pour la première fois à l’aéroport de Paris. J’ai gardé peu de contacts mais je ne peux m’empêcher de sourire quand je pense à certains. Je ne peux évoquer Kerguelen sans penser à Stéphane, l’ancien responsable technique que j’ai remplacé et qui m’a transmis au maximum ses connaissances lors de la mission en 2013. C’est aussi grâce à lui que je suis si amoureux de cet archipel. Enfin, je ne peux conclure sans remercier ma compagne Karine qui a dû gérer seule les premières semaines de notre petit garçon pendant que je m’ émerveillais à l’autre bout du monde.

Pourquoi avoir choisi Verdun/G, ou qu’appréciez vous plus particulièrement ici ?
Je suis Verdunois depuis mai 2013 parce que c’est à mi-chemin entre Nègrepelisse et Toulouse et pas loin de la gare de Dieupentale. Parce que le village et surtout notre future maison nous plaisaient énormément à Karine et moi. Nous apprécions particulièrement la qualité de vie et le dynamisme de notre village.

 

* IRAP : Institut de Recherche en Astrophysique et Planétologie.
* CNRS : Le Centre national de la recherche scientifique est un organisme public de recherche pluridisciplinaire placé sous la tutelle du ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation.
* Marion Dufresne : Navire ravitailleur des TAAF, avec ses moyens nautiques et aérien. Navire amené à secourir les navigateurs du Vent des Globes. il effectue 4 rotations par an.

 

Les KERGUELEN et Port-aux-Français.

Jadis surnommées « Îles de la Désolation », les îles forment un archipel français au sud de l’océan Indien. Ces îles, d’origine volcanique, au relief montagneux, culminent à 1850 m, au mont Ross. Les côtes, très découpées, sont entaillées de fjords profonds. La région occidentale est surmontée par la calotte glaciaire Cook qui s’étend sur 400 km2.

Ces terres furent découvertes le 12 février 1772, par le navigateur breton Yves Joseph de Kerguelen de Trémarec. Les îles et les eaux territoriales sont pour l’essentiel classées en réserve naturelle. L’activité principale de l’archipel est la recherche scientifique pour laquelle la France a créé en 1950 la station permanente de Port-aux-Français. Elle assure le fonctionnement continu de cette station, base logistique, technique et scientifique où se relayent régulièrement 45 à 100 personnes. La 68e mission est actuellement en cours. Les domaines étudiés sont entre autres : la géologie, la volcanologie, la sismologie, le géomagnétisme la zoologie, l’écologie, la médecine et biologie humaine…

 

Résidence artistique aux Kerguelen

En juillet 2011, les TAAF et la Direction des Affaires Culturelles - Océan Indien lançaient l’appel à candidature pour la première résidence « Atelier des Ailleurs ». 440 artistes de tous horizons ont proposé leur candidature pour participer à la 62e mission. Les deux artistes lauréats ont été le photographe français Klavdij Sluban et le plasticien Laurent Tixador.

Ce dernier a exposé début février à fin-mai 2018 à La Cuisine (Centre d’art et de design, Esplanade du Château, 82800 Nègrepelisse) où a pu y revoir la fusée sonde russe* ramenée des Kerguelen ce qui a valu au lieu d’art un article du Monde* pour l’occasion.

*Entre 1973 et 1981, dans le cadre du programme franco-soviétique FUSOV, 175 fusées-sondes stratosphériques M100 sont lancées depuis un pas de tir proche de Port-aux-Français jusqu’à 90 km d’altitude et retombent dans la plaine de la péninsule Courbet. Ici et là, les queues de leurs fuselages enfoncées tête en bas dans le sol émergent encore de la tourbe ou des graviers.

 

Quelques liens pour en savoir plus :

Radar SuperDarn de Kerguelen :
http://www.institut-polaire.fr/blog/Programmes-soutenus/superdarn-kerguelen/
http://www.ker67.fr/2017/07/28/les-antennes-de-superdarn/

IRAP : www.irap.omp.eu/

Liens relatifs aux manipulations instrumentation/mécanique :
http://www.irap.omp.eu/observations/explabo/nanograins/pirenea
http://www.irap.omp.eu/actualites/actu-nanocosmos

Lien d’autres voyageurs :
http://www.ker67.fr/a-propos/
http://ileskerguelen.blogspot.com

Le Marion Dufresnehttps://www.franceinter.fr/emissions/la-marche-de-l-histoire/la-marche-de-l-histoire-27-juin-2017

• Reportage TV : https://www.lci.fr/sujet/la-mission-terres-australes-du-jt-de-tf1-13h-20h-avec-michel-izard